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4 parcours ont été sélectionnés par l'OEJAJ pour illustrer la thématique du soutien à la scolarité.
Le projet s'inscrit dans un contexte alternatif à la scolarité, mais dont la temporalité est néanmoins calquée sur le tempo scolaire. Pour l'éducateur et l'éducatrice qui encadrent le projet, il s'agit donc de s'inscrire dans le cadre et le rythme des activités du SAS. Le temps à consacrer au projet est limité, il va falloir choisir un support qui permette d'arriver à terme et de produire quelque chose de qualité ; c'est indispensable pour éviter le sentiment d'échec. Les plages temporelles qui sont attribuées au projet le sont donc à un moment compatible avec les options pédagogiques du SAS. Cinq matinées sont finalement bloquées, étalées sur une quinzaine de jours au mois de mai. L'équipe envisage un court métrage, vidéo ou photo, à soumettre aux jeunes.
Les deux éducateurs en charge du projet ont proposé aux 7 jeunes suivis à ce moment-là un « atelier sociologie », ainsi nommé parce qu'il s'agissait de mettre en lumière des leviers ayant aidé des jeunes dans leur parcours, et cette logique de levier s'analyse sociologiquement. En parallèle, il y avait un atelier vélo. L'atelier sociologie était obligatoire pour trois jeunes, optionnel pour les autres. Les jeunes ont tous entre 14 et 15 ans.
Pour les responsables de l'atelier, celui-ci devait (comme cela a été précisé dans l'évaluation) :
A la première séance de travail, Mathias a collé au tableau une grande photo de Pierre Bourdieu et a lancé le débat sur la sociologie : qu'est-ce que c'est, à quoi ça sert, quelles questions cela traite, quels types de réponses cela peut-il apporter à la société ? Il explique aussi ce qu'est une recherche, comment on la mène, et présente en exemple la recherche du Girsef, pour faire comprendre aux jeunes comment, d'une question qu'on se pose au départ, on arrive, au terme de la démarche à catégoriser des lectures explicatives, en l'occurrence, ici, des leviers sur lesquels des jeunes « mal barrés » ont pu s'appuyer. C'est ainsi que Mathias présente la suite imaginée par l'OEJAJ.
Les parcours sont alors lus et commentés par groupes de deux, avec l'aide des deux responsables (Mathias et Rosalie). De cours résumés, reprenant pour chaque parcours les lignes de force, sont rédigés.
Voir les documents de travail réalisés (résumés et mots clé).
La seconde séance de travail est consacrée à l'approfondissement des récits et à leur « traduction » en scénario. L'équipe de RTA est là pour filmer l'ambiance. Les jeunes ont dû se mettre d'accord sur l'histoire, ce qui a donné lieu à des échanges « un peu animés mais intéressants », disent Mathias et Rosalie. Les récits de Samir, et de Soufiane touchent et impressionnent les jeunes parce qu'ils ont dû quitter leur pays et que cela a été pour l'un comme pour l'autre un choc culturel énorme. Malgré cela, ils tiennent bon, ont des projets, essaient de s'en sortir. Samir a été renvoyé de l'école parce qu'il a été pris dans une bagarre alors qu'il essayait de s'interposer, et cette injustice les révolte et leur rend Samir sympathique, surtout pour l'un des jeunes qui a vécu un renvoi similaire. Et puis il y a l'histoire d'amour de Soufiane, un peu improbable elle aussi, que les jeunes retiennent.
En définitive, les jeunes décident de ne pas trancher entre Samir et Soufiane, mais de mixer les caractéristiques des deux et de les attribuer à ...une fille, à laquelle ils ne donnent pas encore de nom. « Elle », donc, devient un personnage qui va reprendre à son compte la vie des deux témoins, en y adjoignant quelques caractéristiques autobiographiques des « traducteurs ».
Voir les éléments du premier scénario.
L'objectif de cette séance est de réaliser un storyboard. La première chose à faire est de se décider sur le support du récit : photo ou vidéo ? Le timing ne permet pas d'envisager la vidéo de manière réaliste ; on se dirige donc vers l'idée d'une sorte de roman-photo numérique, où les photos seraient complétées par une voix off et des bruitages. Mathias a sorti une série de feuilles comportant un espace pour dessiner la photo et un espace pour mettre les commentaires.
On rappelle ce qui avait été dit lors de la précédente séance et on se lance. Les jeunes lancent des idées, proposent des images, et Mathias dessine au fur et à mesure. Il gomme souvent, car les jeunes ont trop d'idées. Une jeune fille, en particulier, prend la chose fort à cœur. Elle est jeune, 14 ou 15 ans, mais elle a déjà beaucoup vécu, et les propositions qu'elle fait ont un petit côté autobiographique. Les garçons sont moins loquaces, ou plus critiques ; elle les rappelle à l'ordre lorsqu'ils battent la campagne : « Allez, quoi, on parle de ça, là, maintenant ! ». C'est devenu son affaire, elle y tient, elle est mordue.
Les jeunes sont turbulent(e)s, leur manière de prendre part à la scénarisation est sinusoïdale, mais cela progresse, petit à petit. Les responsables, qui les connaissent bien, savent à quel moment il faut prendre patience pour ne pas casser la motivation et à quel moment il faut intervenir.
Après chaque image, Mathias récapitule ce qu'il a dessiné pour ponctuer la décision, puis demande ce qu'on va mettre comme commentaire en voix off. Brouhaha. Mais à certains moments, les phrases fusent avec une justesse et un naturel surprenant.
(Cacher/montrer les détails)
1ère photo/scène - aux USA. Il s'agit d'évoquer l'enfance, comment fait-on ? Pas possible d'avoir l'air d'être un enfant, à l'âge qu'on a ! Les jeunes proposent d'aller chercher des photos sur Google : une famille américaine classique, heureuse, devant l'Empire state building. S'ensuit un débat passionné sur le droit à l'image et les droits d'auteurs ; les jeunes sont divisés, certains pensent que du moment que c'est sur Google, c'est en utilisation libre ; d'autres prétendent le contraire. C'est l'occasion de donner quelques précisions sur la législation, et sur les risques d'Internet.
2è photo/scène - Le drame de la mort de la maman. Là, les jeunes s'enflamment. On passe de la version du cambriolage à un crime crapuleux en rue, on tourne autour, on raffine. Les séries américaines ne sont pas loin, au point que l'animatrice, Rosalie, finit par demander pourquoi les jeunes s'attardent autant sur ce point qui n'est pas central dans le récit. La jeune fille n'est pas d'accord, « c'est un événement traumatique essentiel, il faut que ce soit bien mis en scène ». Le groupe fini par tomber d'accord sur la version de l'accident de voiture.
3è photo/scène - Il faut évoquer le déménagement vers la Belgique. Des cartons de déménagement (il y en a beaucoup dans le grenier) et un passeport feront l'affaire, avec des bruits d'avion.
4è photo/scène - Une belle maison en Belgique, le papa aisé travaillant dans une société américaine.
(*) 5è photo/scène - « Elle » a toujours été différente des autres, elle reste seule à l'école, a peur de s'attacher depuis le décès de sa mère. On propose une photo d' « Elle » solitaire, et une autre des autres, en contre-champ, en groupe, qui la regardent d'un air dubitatif.
6è photo/scène - Un garçon, qui a accepté de jouer le rôle du bad-boy-mauvaise-fréquentation, entre en scène. Il est solitaire lui aussi, pour d'autres raisons. Il l'observe, est intrigué. C'est lui qui va l'initier à la drogue.
7è photo/scène - Gros plan sur des mains qui échangent de la drogue.
8è photo/scène - Un prof la chope dans la cour de récré, elle se fait expulser (c'est une des filles qui se propose pour jouer la prof).
9è photo/scène - Elle sombre, vit dans la rue, se livre à toutes sortes de trafics. Photo en plongée d'une table avec verres d'alcool et bouteilles, des mains qui échangent des choses...
10è photo/scène - Elle perd la notion du temps (horloge avec aiguilles sur différentes heures).
11è photo/scène - Elle est en soirée, elle danse (il y aura une boule-réflecteur) et elle a un bad trip...(les jeunes ont plein de choses à dire sur les trips).
12è photo/scène - ...trip durant lequel elle a une vision de sa mère (jouée par une des jeunes).
13è photo/scène - Son père est dépassé, il n'en peut plus, il ne sait plus quoi faire, il lui ordonne de se faire désintoxiquer. On prévoit une photo on on pourra comprendre qu'il la chasse.
14è photo/scène - Elle est debout devant une porte avec ses valises : elle se retrouve dans un centre pour se faire soigner.
15è photo/scène - Elle discute avec un travailleur social qui lui conseille de se rendre dans un SAS, Seuil. Les flyers de Seuil seront bien utiles pour la photo.
16è photo/scène - Elle arrive à Seuil, ouvre la porte et voit les autres qui la saluent. Elle est bien reçue, il y a de la solidarité.
17è photo/scène - (plusieurs photos à prévoir : la lassitude aidant, les jeunes commencent à accélérer le rythme...) Samir entre en scène. Aucun garçon ne voulant jouer le rôle de Samir, c'est une fille qui s'en chargera, déguisée. On doit voir Samir et « Elle » en train de discuter dans le jardin, Samir lui raconte sa propre existence. Ils tombent amoureux, ils ont « des papillons dans le ventre ». « Mince, comment on va faire pour les papillons ? Ouvrir un ventre ? » Rires. Mais les techniciens de RTA ont plus d'un tour dans leur sac.
18è photo/scène - « Elle » va de mieux en mieux, elle retrouve un rythme de vie, des régularités : on la voit se réveiller le matin avec son réveil à côté d'elle. Samir est en autonomie, elle a envie de l'imiter.
19è photo/scène - Gros plan sur le contrat d'engagement citoyen à Samarcande qu'elle est en train de signer ; ce stage va changer sa perception des choses.
20è photo/scène - Plongée sur la même table que tout à l'heure, mais des bics et des crayons, des cahiers, ont remplacé l'alcool : le stage consiste en un travail dans une école de devoir, ce qui lui rappelle le goût de sa mère pour l'histoire. Elle se dit qu'elle veut à terme devenir prof d'histoire.
21è photo/scène - En attendant elle se trouve un travail pour les vacances d'été pour gagner un peu d'argent afin de se payer le voyage aux USA et poser des fleurs sur la tombe de sa mère.
Le groupe est fatigué, l'imagination décline ; on propose une poignée de main entre l'animateur de Samarcande et Elle. Il faudra trouver quelque chose de plus symbolique.
Le moment de passer à la réalisation est arrivé.
Problème : la jeune fille qui joue le rôle principal n'est pas là : elle est retenue par des démarches administratives. Elle arrivera l'après-midi. Le petit groupe ne sera jamais au complet, en réalité, ça va et ça vient, il y aura des attelages différents. Il faut s'adapter.
On se réfère au storyboard et on prend les photos qui ne nécessitent pas la présence de la jeune fille, ce qui implique de bousculer un peu l'ordre. Pour la scène 5, par exemple, il faut prendre le cliché du contre-champ sans vis-à-vis. C'est un peu bizarre. On apprend la manière dont un script se construit.
Les techniciens et l'équipe d'animation doivent se mettre en scène aux-mêmes, étant donné la pénurie d'adultes et pour éviter que la même fille ne joue trop de rôles et qu'on s'y perde. Aucun des garçons ne veut toujours jouer le rôle de Samir, c'est donc une des filles qui le fait comme prévu. Il faut la photographier avec une casquette et une capuche, tête baissée. C'est ce qui sera le plus compliqué en définitive, car cela doit être crédible sans casser la « présence » du personnage.
Les jeunes s'investissent, et la caméra ne les intimide plus du tout. Certains plans non prévus ayant été rendus nécessaires par l'absence de l'actrice principale, un des garçons est amené à prendre un rôle plus important. Un autre se montre très intéressé par le matériel de prise de vue et a d'ailleurs pris quelques photos.
La jeune fille qui joue le rôle principal est là ; on s'occupe donc des photos où elle doit apparaître pour compléter le recueil.
Les techniciens ont décidé de prendre beaucoup de photos. On ne peut se contenter d'un résultat trop statique. Ludo a imaginé, plutôt qu'un roman-photo classique, une animation-photo. Il retravaillera les photos et ajoutera des éléments pour suggérer des actions ou des sentiments.
L'enregistrement de la voix off par la jeune fille s'est fait hors atelier, avec le matériel d'enregistrement de Seuil. C'était, dit Rosalie, l'animatrice, « du pur free style » : en se basant sur les images du storyboard, la jeune fille a, de mémoire et sans support écrit, dit son texte d'une seule traite ; la première version était déjà excellente, mais elle a souhaité faire une seconde prise par sécurité. Le résultat est très naturel et très convaincant.
L'enregistrement est envoyé ensuite à RTA. Ludo s'aperçoit que l'évocation des USA ne s'y trouve pas : la jeune fille parle seulement du travail que son père a trouvé en Belgique. Qu'à cela ne tienne, il ajoutera des images et des sons qui permettront de comprendre.
Les 5 séances prévues ont été suffisantes et l'organisation générale a été respectée, même s'il a fallu s'adapter aux impondérables (l'absence de l'actrice principale par exemple). Pour les animateurs, un soutien extérieur par RTA était très intéressant, même si le premier tournage (making of) a été plus intimidant pour les jeunes.
Un très important travail de montage a été réalisé par Ludovic Bouchat sur After Effect.
Le résultat, encore inachevé, a été projeté à Seuil lors de la journée dite "de valorisation" organisée chaque année par le SAS, en fin d'année scolaire; les parents et les partenaires du SAS sont invités afin de découvrir avec l'équipe et les jeunes les diverses productions de ces derniers. Les jeunes, en découvrant le résultat de leurs efforts, en ont été ravis; la maman de la jeune actrice principale fut très émue de voir ce que sa fille avait réalisé.
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