Nous avons présenté l’Aubépine comme une résidence ouverte dans la mesure où plusieurs volontaires la fréquentent régulièrement. Par ailleurs, la preuve de cette ouverture est le lien qui la lie à des voisins : ceux-ci ont demandé à l’équipe si elle peut fabriquer une niche pour leurs chiens. Mais l’Aubépine, comme nous l’avons déjà vu, collabore régulièrement avec les AMO du même territoire, pour réaliser des projets communs. Les rencontres ont lieu avec plaisir et espoir, mais aussi avec crainte et déception. Le passage d’une institution à l’autre est comme un cheminement d’une création toujours singulière.
Il faut ré-insister sur ce mot « résider » : les jeunes résident dans ce lieu. En latin, residere signifie « rester assis, séjourner ». Résider, c’est par exemple être assis sur le banc d’un jardin pour se reposer, raconter une histoire, rêver, se poser, mais aussi déposer toutes les charges que les jeunes portent sur leurs épaules. Les enfants ont le droit de vivre un temps d’arrêt pour se soigner.
Mais en même temps, cette résidence est ouverte. Ouverte vers l’extérieur. Nous avons parlé des lieux d’expérimentation. L’Aubépine est ouverte pour accueillir des évènements qui viennent de l’extérieur. Les jeunes n’y restent pas comme dans un lieu figé. François, le directeur, dit :
Ouvrir les portes d’une institution dont l’essence est la protection, la sécurité, l’éloignement des risques… et compter sur les surprises et l’imprévu s’engouffrant par les « autres » passant cette porte ouverte pour améliorer l’énergie collective, la modifier, l’alimenter…1
Lors du premier entretien d’accueil de Manu et de sa famille, nous étions, l’équipe et les partenaires de l’Aubépine, dans une yourte qui a été construite avec les jeunes et qui est située à côté du bâtiment principal. Il est rare de faire un entretien dans une yourte. Tous les membres de la famille se sont intéressés à savoir comment on l’avait construite. L’atmosphère a commencé à se détendre, il y avait moins de culpabilité et de honte qui flottaient dans l’air. Je crois que cela a permis à Manu de poser une question aux travailleurs : « Est-ce qu’on peut ouvrir le toit ? ». Mais, dans cette question, j’en ai entendu une autre : le toit-toi a-t-il un esprit ouvert ? Le toit-toi me donnera-t-il suffisamment de protection ? Le toit-toi ne m’enfermera-t-il pas comme dans une prison ?
La réponse a été : « Oui, on peut l’ouvrir ». On a montré avec un bâton long comment on peut ouvrir le toit rond de la yourte. Manu l’a regardé attentivement. Et puis, plus tard, il a demandé s’il pouvait visiter la maison et sa future chambre.
L’Aubépine comme résidence ouverte s’inscrit dans une chaîne d’institutions locales et travaille avec ses partenaires – les paysans locaux, les voisins, les volontaires, les stagiaires, les AMO, les écoles, les familles, les mandants… L’Aubépine est également ouverte pour accueillir les personnes qui viennent de loin, des volontaires européens, mais aussi moi-même qui viens du Japon. Ainsi, l’Aubépine est un lieu ouvert où le passage à soi et aux autres devient possible. Ce passage, je l’entends également à la lumière de la voix de Hölderlin, un poète allemand qui dit à son ami Landauer : « Viens dans l’Ouvert, ami ! »2. Il faut partir pour l’existence.
C’est Tosquelles qui a clairement dit que l’institution seule et isolée n’existe pas :
Une institution ça n’existe pas. Il n’y a point une institution seule. Il n’y a que des institutions en interaction et chaque institution peut venir à participer structurellement à des « combinats » divers3.
En écoutant la voix de Hölderlin et Tosquelles et en étant fidèle à la philosophie de la résidence ouverte, pour la recherche également, j’ai tenté de sortir du secteur de l’aide à la jeunesse. Je suis allée tout d’abord rencontrer Delphine et Xavier à Vis-à-Vis, une ASBL qui appartient au secteur AViQ. Cette institution de Havelange entretient un lien étroit avec l’Aubépine, étant donné que plusieurs résidents de Vis-à-Vis travaillent en tant que volontaires à l’Aubépine. Mais les deux institutions font également partie du groupe local « Droûve tès-oûyes ! », réseau d’associations havelangeoises qui se sont engagées à se rassembler régulièrement afin d’échanger leurs expériences et leur énergie.
Ensuite, je suis allée à Latitude 50, un organisme culturel. Il s’agit d’un lieu de résidence et de spectacle pour les artistes du domaine du cirque et des arts de la rue. Cette institution n’a pas de lien direct avec l’Aubépine. Cependant son directeur François s’inspire de leur pratique pour aborder sous un angle différent le sens du mot « résidence ». La résidence pour les enfants et la résidence artistique n’ont pas le même statut. En règle générale, les enfants ne choisissent pas de vivre dans une institution d’hébergement, alors que les artistes viennent volontairement dans une résidence artistique pour se concentrer et créer leurs œuvres. Si on considère la vie comme un mouvement, et si l’art nous aide à le réaliser, pourquoi ne pas prendre en considération l’art comme une aide soutenant la vie des enfants en institution ?
1 Jacqueline Fastrès et François Debatty, « Aux confins du confinement », in Carnets de l’AJ publié le 9 juin 2020 : https://www.intermag.be/aux-confins-du-confinement.
2 Friedrich Hölderlin, Œuvres, Gallimard, La Pléiade, Paris, 1967, p. 803.
3 Jean Oury, Félix Guattari et François Tosquelles, Pratique de l’institutionnel et politique, Vigneux, Matrice éditions, 1985, p. 123.