Dialogue avec Laurens, assistant social de l’AMO Le Cercle
Trois semaines après l’expérience de la formation d’adultes, Laurens m’a accueilli à l’AMO Le Cercle pour en parler. La machine à café était cassée, donc il fallait nettoyer le café qui coulait sur le sol. En attendant le café, nous avons parlé football avec son collègue Christophe. Laurens disait qu’il aimerait bien tenter de devenir un coach et dire « Cours ! Allez ! ». Sa façon joyeuse de dire « Allez ! » reflétait bien la posture bienveillante d’un travailleur social qui accompagne tous les jours des jeunes et leurs familles.
Laurens : Pour notre travail avec les jeunes, c’est très important de créer une proximité et une accessibilité des services et des travailleurs. Si un jeune ou un parent n’arrive pas facilement à nous demander une aide, c’est un problème. Il faut que notre porte soit ouverte et qu’il n’y ait pas de barrière invisible pour pouvoir frapper à la porte. Nous, on n’est pas mandatés, donc créer une proximité, c’est encore plus facile qu’à l’Aubépine, une institution mandatée par le SAJ ou le SPJ. Mais comment pouvons-nous mettre les familles à l’aise pour qu’elles puissent vraiment dire à quoi elles pensent, ce dont elles ont besoin comme aide, ça reste toujours une question importante.
Saki : Tu as des familles que tu accompagnes depuis longtemps ?
Laurens : Ah, oui, il y a des familles que je suis depuis plus dix ans. Ici, l’AMO, ça fait 27 ans qu’elle existe. Il y a déjà des enfants des enfants que ma directrice a accompagnés.
Saki : Il y a un lien de confiance.
Laurens : Ce qui est particulier, c’est que les gens peuvent entrer ici sans spécialement avoir un rendez-vous. Certains jeunes viennent pour juste manger leurs tartines, ou nous dire bonjour. Ou bien si une famille reçoit une lettre administrative qu’elle ne comprend pas, alors elle vient ici et on regarde ensemble ce que c’est.
Saki : Cette proximité avec les jeunes et les familles fait qu’ils ressentent votre accessibilité comme authentique.
Laurens : Oui. Moi, ici c’est marrant. Je connais plein de monde à Ciney maintenant. Je dois même parfois éviter de faire les courses à Ciney quand je me dépêche. Un samedi, j’y étais pour faire des courses. J’ai reconnu une personne devant moi, et puis deux personnes derrière moi. Le garçon, à côté de la fille, je le connaissais aussi. La madame à côté de moi m’a regardé avec étonnement : comment ça se fait que je connais tout le monde et discute avec tout le monde (rire) ?
Saki : Tu es connu à Ciney.
Laurens : Oui, comme tous mes collègues. Ici, les gens viennent, parce qu’ils sont quand même en train d’affronter des problèmes. Ça peut être un gros problème, comme la drogue, la violence familiale, les crises suicidaires ou les problèmes de l’école. Mais les gens ne viennent pas comme tu vois un psychologue. C’est autre chose. C’est la rencontre humaine qui importe. Aussi, chez les psychologues, il y a une étiquette « médicale » et les jeunes sont méfiants par rapport à ça. En plus, les jeunes ressentent parfois l’obligation d’aller chez un psy et donc ils l’évitent. Or, eux, ils ont besoin d’être écoutés et soignés. Ici, il y a des activités aussi, un stage, un jeu. Tu n’es pas passif devant un professionnel qui t’analyse, même s’il y a aussi un côté de conseil. Car ce conseil, ça se passe vraiment comme entre les potes et entre les frères. Tout le monde a parfois besoin d’un conseil, quand on a des problèmes. On essaie de favoriser au maximum une approche humaine.
Saki : Ici, il y a une atmosphère informelle.
Laurens : Oui, c’est ça, c’est cette ambiance informelle qui donne du plaisir aux jeunes. On peut aussi rigoler ensemble, même quand tu as un problème.
Saki : C’est cette ambiance qui fait que les jeunes viennent pour demander une aide. J’insiste sur cette question, sur la demande et l’accessibilité, car vous les AMO, vous ne pouvez pas intervenir s’il n’y a pas de demande. Or parfois, tu as tellement envie de demander une aide, mais tu as peur de faire ce pas.
Laurens : Notre philosophie, c’est le non-jugement. On ne juge pas. On n’attend pas que les gens soient « parfaits » ou qu’il n’y ait pas des problème. Mais aussi on essaie d’être sincères. Je pense que la sincérité touche les gens. Nous essayons aussi d’être soutenants et d’être vraiment à côté de gens, quoi qu’il leur arrive. On est à côté des jeunes et des familles pour les soutenir dans les démarches visant tous les types d’institutions : l’école, le CPAS, le SAJ,… Et on essaie d’être dans le quartier, dans la rue où les gens sont vraiment là. Comme ça, les gens nous voient. J’essaie d’être et d’agir d’égal à égal. C’est le cadre de l’AMO qui nous le permet, car on n’est pas sous le contrôle.
Saki : Avec toi, les jeunes peuvent dire: « Bon, j’ai beaucoup de problèmes, mais d’abord, je peux me permettre de rigoler ».
Laurens : Oui, c’est important ça ! On a des problèmes, ce n’est pas grave. Oui, ça peut être grave, mais on peut toujours avancer ensemble. On est là pour trouver des solutions. En tout cas, on peut ne pas rester bloqué. C’est important que les jeunes viennent ici. En effet, y a beaucoup de jeunes qui ont des problèmes d’intégration au sein d’un groupe, de la famille ou de l’école, mais ici, ils peuvent vivre le sentiment d’être soutenus. Personne ne pointe le doigt sur les « fautes ». Je ne m’intéresse pas à chercher des fautes. J’ai confiance dans les gens, comme ça les gens ont aussi confiance en moi.
Saki : J’ai entendu certains témoignages de travailleurs sociaux qui ont vécu la difficulté d’être trop proches avec les jeunes. Ils étaient perturbés à cause de la gravité des problèmes vécus. Tu mets beaucoup d’importance sur la proximité. Mais est-ce que tu as aussi vécu une difficulté de ce genre ?
Laurens : C’est vrai qu’on parle souvent de « la distance professionnelle ». Donc, dire qu’on agit d’« égal à égal », c’est toujours délicat. Mais on essaie d’être sincères le plus possible. Moi, je me sens à l’aise avec ça. Ça fonctionne bien. Il y a beaucoup de sincérité, et on se sent toujours plus à l’aise grâce à elle.
Saki : C’est vrai que si tu dois t’inscrire, je veux dire suivre une démarche administrative, avant de rencontrer un travailleur, c’est assez décourageant. Cette bureaucratie empêche de créer la rencontre.
Laurens : Mais oui. On a eu un subside pour un poste de secrétariat et une collègue est dans ce cadre, mais elle travaille aussi comme éducatrice. On n’a pas envie d’avoir une personne qui prend juste le téléphone. C’est triste si les jeunes et les familles sentent quelque chose comme une barrière à cause de ça.
Saki : Tu penses que l’Aubépine est soucieuse d’être sincère ?
Laurens : Oui. Je pense qu’ils ne sont pas dans le même cadre que nous. Mais je sens qu’ils essaient de retirer tous les titres trop lourds. On partage beaucoup de philosophies communes.
Saki : Par rapport à la formation des formateurs, est-ce important d’apprendre à être sincères ? Comment vous formez-vous entre vous ?
Laurens : Pour la formation des formateurs que nous avons vécue, on voulait expérimenter une nouvelle mode de formation en disant que tous peuvent être experts. Donc, tu y participes et tu es formateur des autres. On tente des choses comme elles viennent. On a créé une musique ensemble à la fin.
Saki : Je me rappelle que le thème de cette journée était de donner une place à chaque jeune. Et on a choisi la musique pour réfléchir à ça. La musique a été intéressante pour vivre concrètement la manière dont on peut respecter le rythme de chacun, mais aussi pour voir comment le rythme de chacun peut se combiner et se partager.
Laurens : Ce qui est important dans tous les ateliers, c’est que tu peux les faire aussi avec les jeunes. Tu peux leur proposer de faire une musique. Chacun prend sa place avec un instrument et on peut travailler l’importance de prendre la place au sein du groupe, etc. Partir du concret, c’est important pour les adultes aussi, car avec les jeunes, c’est comme ça qu’on vit. Si ce n’est pas concret, les jeunes ne viendraient jamais. Alors, les adultes doivent aussi le vivre.
Saki : On s’est vraiment amusés.
Laurens : Mais oui. C’est important de s’amuser ! C’est vraiment triste de se former sans éprouver du plaisir.
Saki : Tu veux dire qu’on a une image de la formation comme quoi il faut être assis, s’y ennuyer et même être noyé dans le bla-bla ?
Laurens : Oui, tout à fait. C’était gai de vivre notre formation en étant heureux d’être nous-mêmes. Je pense que tout le monde a vécu le plaisir et on a été surpris, car on a fait beaucoup de choses qu’on n’attendait pas. C’était une vraie réussite cette semaine.
Saki : En plus, on s’est sérieusement amusés, et on a appris plein d’outils.
Laurens : Avec Fernand, j’ai déjà fait une formation il y a 4 ans. C’était pour lutter contre le harcèlement scolaire. On a déjà été sensibilisés aux outils concrets que chaque professionnel peut utiliser directement avec les jeunes.
Pour revenir à ta question, comment on se forme pour mettre en pratique notre philosophie de proximité, nous, on essaie de la vivre dans la pratique. On ne connaît pas beaucoup de théories pour ça. Mais c’est vrai que ce n’est pas évident de trouver un bon positionnement.
Saki : Oui. Moi, je pense que tu crées une bonne ambiance et du coup on a envie d’être dans ta proximité. Je sens que tu es disponible si j’ai un problème. Je sens aussi que tu me diras si tu ne sais pas et tu vas essayer de trouver une solution. Mais créer cette ambiance, ce n’est pas évident. Si je veux faire une formation pour travailler sur cette ambiance, qu’est-ce que je dois faire selon toi ?
Laurens : Comment avoir cette sincérité… Je pense qu’il faut dégager le cadre, en même temps ne pas l’oublier. Il y a un jeune qui m’a dit : « Laurens, t’es super, sympa et détendu. Mais je sais que tu travailles. A 17 heures, tu rentres chez toi et tu t’en fous de nous ». Ce garçon a beaucoup de recul, et il m’a envoyé ça. C’est important de dire que la posture de travail est une posture de sincérité. Quand on parle de la distance professionnelle, on nous dit qu’il faut faire attention aux problèmes des autres, je le comprends bien sûr. A 17 heures 30, quand je suis à la maison, je suis avec ma famille. Je ne téléphone pas au garçon que j’ai rencontré le matin. Mais il faut, selon moi, expliquer aux jeunes que je n’aime pas créer une « distance froide » quand je bosse, car je ne suis pas un robot. Il est essentiel de créer des moments de plaisir et de partage. Mais je le fais dans le cadre du travail aussi, par exemple en respectant un horaire.
Saki : Je ne suis pas sûr que ce soit simple pour beaucoup de monde. Mais tu veux dire que les gens ont parfois peur que si on est trop proches, on doit devenir un ami etc. ?
Laurens : Oui, je pense. Mais les jeunes comprennent très bien que je travaille. Il y avait un garçon qui m’a demandé mon code d’ami pour les jeux vidéo. Je lui ai expliqué que je peux jouer avec lui ici, mais pas chez moi. Quand je suis chez moi, je ne suis pas au bureau. Ils peuvent l’entendre. Parfois, je rigole aussi en disant que je deviendrais fou si je joue encore avec toi la nuit chez moi (rire). Ils sont capables de comprendre que j’ai ma vie privée. En fait, il faut aller jusqu’au bout de la sincérité. Et il suffit de leur dire au moment où la relation devient trop proche que je ne veux pas commencer à copiner avec eux. Une certaine distance nous aide aussi pour dire des choses dures aux jeunes et aux familles. Ils peuvent mieux entendre cette parole dure et vraie. C’est assez simple et peut-être aussi compliqué pour certains : il faut distinguer entre ce que je veux donner aux autres et ce que je veux garder pour moi.
Saki : Si on se connaît mieux, si on connaît notre propre désir, on peut être sincère dans le cadre du travail ?
Laurens : On doit être sincère. Surtout les jeunes ont besoin de cette sincérité. À la yourte, par exemple, on a compris que les jeunes cherchent un adulte plus « complet », les vraies gens.