Fabriquer des milieux vivants

- un carnet de l'Aide à la jeunesse de Saki Kogure avec le Foyer l’Aubépine

Épilogue

Toutes les interventions institutionnelles, qu’elles soient de formation, de supervision ou de recherche, doivent veiller à être aussi la trace d’un futur qu’elles ignorent mais dont elles doivent favoriser l’émergence. Cela impose à l’intervenant(e) de s’effacer à un moment donné pour laisser advenir un possible qui ne lui appartient pas.

Comme l’écriture de cette recherche s’est inspirée de la parole des acteurs avec qui j’ai été en contact, j’ai décidé, pour clore mon travail, de faire en guise de restitution de celui-ci un atelier d’écriture en m’appuyant sur ce même principe et en m’inspirant des témoignages et de la parole des premiers intéressés. En effet, la langue vient des autres, elle est l’une des plus anciennes institutions conditionnant notre existence. Mais quand on écrit, on s’approprie les mots des autres en les transformant dans un langage qui nous est propre. On participe à l’activité du langage et à celle du monde qui n’est jamais figé, mais qui se transforme en permanence.

Pour organiser l’atelier, nous avons tout d’abord arpenté le texte de la recherche et rassemblé les idées qui sont ressorties dans la discussion. Ensuite, chacun a choisi librement une lettre de l’alphabet qu’on a écrite sur un papier blanc. Il fallait également écrire un mot qui commence par ces lettres. Après avoir écrit le mot, chacun a transmis le papier à son voisin. Par exemple, sur un papier, quelqu’un a écrit la lettre R. Ensuite, il a écrit le mot « rire » et a transmis le papier à son voisin. Celui-ci a écrit un autre mot, « rituel ». Après avoir fait plusieurs tours, on a arrêté. Chacun avait ainsi un papier plein de mots. On a choisi ensemble le thème de l’écriture, à partir des mots qui ont été écrits sur le tableau. Ces thèmes sont « Besoins », « Dehors » et « Passion ». Chacun a choisi trois mots au minimum dans son propre papier. L’idée était de créer une histoire à partir de l’un de ces trois thèmes.

Nous avons choisi trois histoires pour cet épilogue.

Besoins

Stéphanie (coordinatrice) a décidé que son histoire serait une lettre adressée aux lecteurs pour expliquer la nécessité de la créativité pour bien faire son travail social et éducatif. Sur son papier, les mots choisis commencent par la lettre « C ».

Coucou les lecteurs,

Attention, ne nous mettez pas dans des cartons !

À l’Aubépine nous avons besoin de couleurs et d’espace de création pour bien travailler.

Nous avons besoin d’entendre les rires et les cris des enfants.

Être travailleur social, c’est être un cow-boy de la relation, c’est savoir travailler dans un collectif, c’est aussi faire le clown pour traverser les difficultés.

Il faut parfois montrer les dents comme un crocodile pour être reconnu et entendu.

Nous devons prendre régulièrement nos crayons pour expliquer notre travail.

Il faut taper sur le clou pour sortir carrément des vieux stéréotypes !

Ici, nous aimons jouer à cache-cache, nous aimons prendre le temps de regarder notre cochon.

Et oui, c’est aussi ça notre boulot !

Dehors

Elsa chante un rap en jouant un rôle de jeune qui aspire et revendique « le dehors ». Sur son papier, les mots commencent par la lettre « R ».

Quoi ? Vous voulez recommencer à m’enfermer ? Ça ne va pas ou quoi ?

J’ai la rage, je vois rouge !

Vous ne me faites plus rire, j’en ai marre de vos railleries !

Vous allez encore dire que je rouspète, que je revendique !

Mais laissez-moi ralentir, laissez-moi driver ma vie, laissez-moi rouler à mon rythme sans respecter tous vos rites !

Oui ! Je fais ma Révolution ! Je veux Rire, Rêver, Rester… et surtout Revoir mes amis !

Ça suffit, cette situation est ridicule !

Passion

Amélie (stagiaire) crée un petit dialogue pour réfléchir au sens de la vie. Sur son papier, les mots commencent par la lettre « V ».

La vie, c’est quoi ?

— C’est boire du vin du soir au matin ?

— Ou voyager autour du monde ?

— Est-ce la recherche de la vérité ?

— Ou… voler de ses propres ailes ?

— La vie, ce n’est que violence et difficulté ? Ou bien, c’est vibrer, vagabonder, visiter et partir en vacances et faire le plein de vitamines

— Ce n’est peut-être que virtuel aujourd’hui, derrière son écran de GSM ou de PC ?

— La vie, c’est murmurer à l’oreille d’un veau en buvant du lait de vache 

— Ou rencontrer un vampire un soir d’Halloween ?

— Ou est-ce voir au-delà du visible ?

Eh bien, c’est peut-être un peu de tout cela à la fois. Restez vigilant, la vie vous appelle… être un peu de tout cela à la fois. Restez vigilant, la vie vous appelle…

Et c’est sans doute au croisement de ces histoires qu’un possible institutionnel s’esquisse. La vigilance aux besoins des enfants et des jeunes nous permet sans doute de ne jamais oublier que, pour les enfants et les jeunes à qui notre société reconnaît fort heureusement un droit à l’aide, le milieu institutionnel vivant qu’il faut fabriquer, c’est un dehors.

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